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Une journée surprise, trois filles et un fauteuil roulant

Harmony Le Reste
Photographe et vidéaste professionnelle

S’il y a bien quelque chose d’important dans la vie de cette grande rêveuse, c’est la nature et ses beaux paysages. C’est devant Home du célèbre photographe Yann Arthus Bertrand que déjà, toute petite, Harmony s’imagine parcourir le monde afin d’en saisir toutes les merveilles, caméra en main. Aujourd’hui photographe et vidéaste professionnelle, elle a à cœur de faire rayonner la Belle Province, sa terre d’accueil depuis qu’elle a quitté la France pour s’y installer en 2015.

 

On se dirige aujourd’hui à Laval pour une journée complète avec mes deux amies Daphnée et Suzie venues spécialement de France pour me rendre visite à Montréal. Trois filles ensemble, aventurières et un peu folles, jusque-là rien de spécial, si ce n’est que j’ai dû composer un programme sur-mesure puisque l’une d’entre elles, Daphnée, est en fauteuil roulant. Un sacré défi que j’ai surmonté avec l’aide précieuse de Tourisme Laval.

C’est la première fois que Daphnée et Suzie voyageaient au Québec. Elles suivent mes aventures canadiennes sur Internet à travers mon projet Barrons-nous, mais rien de tel que de découvrir de leurs vrais yeux les beautés de cette fabuleuse province. Pour marquer le coup, je leur ai organisé une journée surprise qu’elles ne seront pas prêtes d’oublier. Ce matin, au moment de préparer les sacs, les questions fusent : « Mais on va où ? », « J’espère que ce n’est pas une de tes activités à sensations fortes ?! » (Décidément, elles me connaissent bien !), « On doit vraiment emmener les maillots de bain ? », « M*rde, je ne me suis pas épilée les jambes ! ». De mon côté, je jubile. Mon plan fonctionne et mes propos incohérents ne font que renforcer la confusion dans leur tête.

Il est déjà 9 h. Les sacs sont bouclés et remplis de choses qui ne serviront pas de la journée, mais qui ont judicieusement brouillé les indices. Embarquement immédiat à bord de mon véhicule après avoir pris soin de leur bander les yeux.

La première surprise

Nous ne mettrons que 30 minutes pour arriver sur le lieu de la première surprise. Le trajet s’est déroulé dans un silence anxieux. Bizarrement, c’est Suzie qui est la plus angoissée. Daphnée, quant à elle, est plutôt calme. Je les aide à sortir du véhicule à l’aveugle jusque devant l’entrée du bâtiment. La scène est cocasse. Je pousse le fauteuil de Daphnée. Suzie s’agrippe à mes hanches derrière moi pour ne pas tomber. Une automobiliste qui nous laisse traverser sur le passage piéton se met à rire en nous voyant déambuler.

Je rigole à pleins poumons un peu nerveusement. « Et si ma surprise ne leur plaisait pas » ou pire « Et si Daphnée ne pouvait malheureusement pas participer ? » Eh oui, voulant absolument garder le secret, je ne pouvais lui demander des informations concernant ses capacités physiques pour jauger si elle pourra faire l’activité. Nous en aurons très bientôt la réponse.

Les filles sont maintenant installées devant la façade décorée d’un gros logo qui devrait rapidement les mettre sur la piste. C’est le moment…. 3, 2, 1 ! Dénouez vos foulards les filles !

Je vous laisse savourer l’instant…

Mes chères amies, accrochez-vous, je vous emmène voler comme des oiseaux au Ifly! L’excitation est à son comble. Aucune d’entre nous ne réalise vraiment ce qui nous attend. Nous entrons dans le centre et sommes accueillies par David, le formateur qui nous accompagnera pendant notre expérience. Avec son sourire ravageur et son humour tranchant, il nous met rapidement en confiance. On sautille dans tous les sens tellement nous sommes pressées de nous jeter dans le tube. Mais d’abord, il faut qu’il puisse discuter avec Daphnée afin de voir si l’activité sera sans risque pour elle. Après une série de questions précises sur ses capacités, le verdict tombe. C’est OK ! *Soulagement x1000* ! Malgré sa tétraplégie incomplète, Daphnée est suffisamment forte physiquement pour pouvoir tenter l’expérience avec nous en toute sécurité. Imaginez le sourire qui s’est dessiné sur ses lèvres à ce moment-là.

C’est parti pour la mini formation obligatoire. David est accompagné d’un second formateur qui nous aidera à nous envoyer en l’air (ne voyez ici aucune autre connotation, évidemment ;-) ). Dans une pièce à part, nous regardons un court film qui explique le déroulement de l’activité. L’excitation se retrouve mêlée à une angoisse bizarre lorsque nous voyons les protagonistes du film se jeter dans le tube. Eux semblent pourtant très sereins. S’en suit un bref apprentissage pour pouvoir communiquer à l’intérieur de la soufflerie. Avec la vitesse du vent, le bruit est tel qu’il sera impossible de parler. Il nous faut donc apprendre quelques gestes de base pour comprendre les conseils de nos formateurs pendant l’exercice comme « allonge les jambes », « relève le menton » ou même juste « relaxe, t’es cool » afin de maximiser les sensations.

Ni une, ni deux, nous sommes déjà en train d’enfiler nos combinaisons, nos casques et nos lunettes. Nous nous marrons en nous regardant mutuellement, car ces accoutrements nous donnent de faux airs de spationautes à la conquête de l’espace. Quelques photos sont obligatoires pour immortaliser l’instant. Daphnée s’équipe d’un baudrier spécial qui lui permettra de maintenir ses jambes paralysées dans la bonne position. Nous sommes prêtes.

L’heure a sonné. Nous entrons dans le sas qui sépare la pièce de la soufflerie. La machine se met en route et nous entendons un gros bruit sourd malgré nos bouchons d’oreilles. Les mains sont moites, mais c’est parti !

C’est Daphnée qui ouvre volontairement le bal. Même pas peur. Je me doutais qu’elle s’amuserait beaucoup, car malgré son handicap, cette super nana est une adepte des activités insolites. De l’aviron, du canyoning, et même du parapente, ce sont toutes des expériences qu’elle a déjà vécues.

Les deux instructeurs qui l’entourent l’embarquent dans le tube de verre. Elle décolle et s’envole comme une feuille ! Le harnais qui maintient ses jambes l’aide à bien se positionner. Je vois sur son visage, et ce, malgré ses joues déformées par le vent et ses grandes lunettes, un immense sourire. Elle s’éclate et ça se voit. Les instructeurs parviennent même à la lâcher à quelques reprises. De mon côté, je suis recouverte de frissons. Non pas parce que j’ai peur, mais bien parce que je suis remplie d’émotions. Daphnée est ma meilleure amie. J’étais sa colocataire au moment de son accident qui l’a privée de sa motricité. La voir s’envoler comme un oiseau me touche en plein cœur.

Mes yeux pleins de larmes arrivent malgré tout à discerner des silhouettes à travers les vitres du tube. Les gens, simples spectateurs, instructeurs ou futurs parachutistes d’un jour, semblent eux aussi très intrigués par la scène, et avec raison. Quoi de plus beau que de voir quelqu’un s’envoler comme Peter Pan lorsque la vie l’a privé de ses jambes. La scène est magnifique. Quelques secondes plus tard, elle rentre dans le sas. Un pouce un l’air me confirme qu’elle a trouvé ça super. Apprenez-en davantage sur les vols avec harnais en consultant ce vidéo.

C’est à mon tour. Je me jette dans la soufflerie. Ayant déjà fait un saut en parachute, je suis agréablement surprise de retrouver la même sensation de flottement. Le vent recouvre totalement mon corps. Mon instructeur me lâche vite. Je vole haut ! Je vole même très haut à en dépasser les vitres. Mais quelle sensation indescriptible. Vous savez lorsque vous êtes en voiture sur une voie rapide et que vous passez votre bras par la fenêtre ? Eh bien, un vol en soufflerie donne une sensation similaire, mais des orteils jusqu’à la pointe des cheveux. Je regarde mon instructeur qui me fait signe. Il me faut bien quelques secondes pour que l’information me monte au cerveau, car avec la poussée d’adrénaline que je prends en ce moment même dans la face, j’ai déjà oublié les signes que j’ai appris il y a 20 minutes. « Ah oui ! J’allonge mes jambes ». Un peu maladroitement, je vacille à gauche et à droite. La maîtrise n’est pas parfaite, mais je prends mon pied comme ce n’est pas permis. David m’attrape. C’est déjà fini pour mon premier saut.

C’est au tour de Suzie. À peine entrée dans le tube, elle vole déjà comme une fée. Sa position « banane » est parfaite et sa silhouette svelte est sublimée par le vent. On croirait une sirène dans sa combinaison bleue. Quelle grâce ! Tout semble se passer très naturellement pour elle ; on dirait qu’elle a fait ça toute sa vie. Elle parvient même à s’orienter dans la soufflerie. Gauche, droite, en haut, en bas, Daphnée et moi n’en revenons pas tant elle est habile.

Nous renouvellerons nos sauts à trois reprises. L’expérience est suffisante pour déjà remarquer une meilleure maîtrise au bout du troisième. Mais qu’est-ce que c’est sportif ! À peine sortie de mon troisième saut que je sens déjà que ça me tire dans les épaules. Je me garantis des courbatures pour le lendemain matin ! David et son acolyte nous font même une démonstration comme pour clôturer le show. Ces hommes défient la gravité avec une telle maîtrise qu’ils semblent narguer les lois de la physique. Des ronds, des pirouettes, des roulades, ils nous font une chorégraphie spectaculaire rien que pour nous. WOW ! Un bref regard sur la gauche et je vois mes deux compères qui ont la bouche grande ouverte d’admiration.

C’est déjà fini. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une fois dans le tube, le temps passe très vite. Nous retirons nos bouchons, nos casques. Un fou rire général se déclenche quand on découvre nos têtes ébouriffées. Photo obligatoire pour immortaliser l’instant. J’attends impatiemment les commentaires de mes amies même si je pense déjà avoir deviné les avis. C’est à grands coups de « C’était malade ! », « Quelle expérience de folie ! », « Trop génial ! » que nous quittons les lieux avec des souvenirs plein la tête et de sacrées photos à partager avec nos proches. « Mon chum ne va pas me croire ! » annonce Suzie. Première étape de la journée surprise réussie.

Rien de tel qu’un bon petit repas pour nous remettre de nos (fortes) émotions. C’est au Trois Brasseurs situé juste à côté du Ifly que nous décidons d’aller manger. L’air de rien, l’activité faussement passive nous a bien creusé l’estomac. Flammekuche pour l’une, salades pour les autres ; nous passons un moment convivial à débriefer sur l’expérience incroyable que nous venions de partager ensemble.

« Mais qu’est-ce que tu nous réserves pour la suite ? » Dernier mystère qui plane encore. Deux solutions pour notre après-midi s’offrent à nous, mais je préfère en parler à mes amies pour faire le bon choix. Entre le simulateur de vol en Boeing 747 ou la sortie de kayak, nous optons cette fois-ci pour du plein-air. C’est sur la rivière du magnifique Parc de-la-Rivière-des-Mille Îles que nous passerons le reste de notre journée.

On part en kayak !

Nous arrivons au Parc de la Rivière des Mille-Îles. C’est un endroit que je connais déjà. Je suis sûre qu’elles aimeront ce petit bout de paradis naturel près de la ville. Nous sommes accueillis par le directeur technique du parc qui nous explique rapidement les importants objectifs de préservation de la faune et de la flore du parc. Après avoir stationné notre véhicule, il nous aide à transporter Daphnée dans son fauteuil jusqu’au bord de la rivière où nous attend Renard Souciant, notre guide kayak pour l’après-midi. Ne soyez pas étonnés par son nom. Ce jeune homme sympathique tient ce surnom de son passif de chef scout ! Pas de doute, nous sommes entre bonnes mains. Nous revêtons nos vieux gilets de sauvetage pour le côté sexy et nous voici déjà en train de transporter nos kayaks au bord de l’eau. Pour des raisons évidentes, Daphnée montera avec notre guide. Je serai donc avec Suzie dans une seconde embarcation.

Seulement voilà, comment réussir à porter notre Daphnée pour la glisser dans la place étroite d’un des kayaks ? Heureusement que du renfort arrive pour nous aider à la porter en sécurité. Telle une princesse, la voilà soulevée par deux preux chevaliers jusqu’à son trône flottant. Mais pas question pour elle de se laisser balader. Daphnée veut participer et nous propose de lui scotcher les mains sur une des pagaies pour pouvoir contribuer à l’activité. Quelques rapides mesures pour trouver la position confortable dans laquelle elle se sent bien et nous nous exécutons sans brocher. De notre côté, Suzie et moi montons à l’avant. En tant que grande amatrice de canoë-kayak, j’ai multiplié les sorties durant l’été, ce qui me rend la plus à même de diriger habilement l’embarcation entre les mille îles.

Et c’est parti pour les premiers coups de rames. Nous progressons sur la rivière, qui est étrangement calme pour un après-midi ensoleillé. Nous sommes pratiquement seuls sur l’eau. Renard Souciant nous parle avec passion de la végétation particulière qui pousse dans le parc et des animaux qui le fréquentent. Pas étonnant pour un étudiant en biologie. Nous slalomons entre les îles, nous contournons des petites plages, passons dans des endroits plus étroits où les saules pleureurs viennent frôler nos bateaux.

L’activité se fait plus tranquille que la surprise du matin, mais c’est une bonne chose. On profite du paysage verdoyant. Il est difficile d’imaginer que nous sommes si proches de la ville. Autour de nous, tout est très calme et relaxant. « Bon Suzie, faudrait peut-être que tu m’aides à ramer un peu, » blaguais-je. Lâchez donc dans un si bel endroit une amatrice de photographie et vous n’aurez qu’à pagayer tout seul jusqu’à votre retour sur terre. Je la taquine, mais je suis heureuse qu’elle en profite !

Nous passons sous un petit pont de pierres où poussent des vignes sauvages. Notre gentil guide propose de cueillir quelques raisins. Les fruits sont tout petits et acides comme des baies, mais ils sont délicieux. Nous nous partageons notre modeste festin quand soudain, Renard Souciant nous demande si l’une d’entre nous a peur des araignées. Il m’a suffi d’entendre le mot pour contracter tous mes muscles en frissonnant. « Eurk, dégueu ! », m’exclamais-je. Pas de doute, s’il y en a une parmi les trois qui n’aime pas tellement les insectes, c’est bien moi ! Et le voilà prenant la bête entre ses mains en nous expliquant qu’il s’agit là d’une petite femelle compte tenu de la forme de ses huit pattes. Surprenant jeune homme, vous avez dit ? Plus loin, il nous fait découvrir l’un des secrets les moins bien gardés du parc : l’une des anciennes demeures de la chanteuse Céline Dion qu’il est possible d’approcher depuis la rivière. Voilà de quoi satisfaire notre côté « people ».

La balade en canoë se termine dans la bonne humeur. Le retour vers la terre ferme se déroule sans encombre. Nous croisons même quelques canards dont l’un d’eux possède un magnifique plumage coloré. Il s’agit là d’un canard plongeur. « Le premier de la saison ! », s’exclame notre guide, « …. et sûrement le dernier puisque nous sommes déjà à la fin septembre ! ». Nous avons de la chance de l’approcher d’aussi près. Encore quelques coups de pagaies et nous revoilà accostés au ponton. Comme au début de l’activité, les deux preux chevaliers font leur retour près de notre princesse Daphnée pour l’aider à rejoindre son destrier à deux roues. Un bref au revoir à nos nouveaux amis et nous voilà reparties à bord de notre voiture.

« Alors les filles, cette journée vous a plu ? ». Je pose la question, mais je connais déjà les réponses. « Bin carrément ! C’était génial ! » Nous sommes toutes les trois unanimes. Sur le chemin du retour, je vois Daphnée assise à ma droite qui écrit déjà une publication sur sa page facebook « 1 parenthèse 2 vies » pour raconter sa journée depuis son mobile. Dans mon rétroviseur, Suzie a la tête plongée dans son appareil photo. Il faut croire que nous sommes pressées de partager au monde entier notre magnifique journée surprise réussie. Des centaines de photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux, mais le plus important est la quantité gigantesque de souvenirs que nous venons de nous créer ensemble, et qui nous resteront toute notre vie. Nous sommes heureuses. Paris tenu, PARIS GAGNÉ !